PEINTURES DES CONFINS
ESPACE BATEAU LAVOIR, 6 rue Garreau, 75018 Paris. En novembre et décembre 2021
Panoramique ci-dessus : Nurith Aviv
Photos des œuvres : Christophe Beauregard
Trouver des mots, alors même que ce que l’on souhaiterait le plus au monde, devant les peintures de Claude-Luca Georges, serait de s’enfoncer dans le silence, devenir pur regard, et laisser doucement monter les sensations jusqu’à ce que surgisse, peut-être, impromptu, le besoin d’exprimer sa vision, de parler de la bousculade des pensées qui se cognent, des images qui affleurent, des réminiscences qui réjouissent. Et d’abord la surprise du support, ce refus du lisse de la toile, de son blanc sans nuance, choisir l’aspérité d’un plâtre (appelons-le ainsi, même si la recette est sans doute plus complexe) et imprimer déjà son énergie dans la matière du tableau avant d’en définir les rythmes et les tonalités. C’est dans l’épaisseur vibrante de cette matière que des formes vont apparaître, en diptyques soudés l’un à l’autre, manière subtile d’exprimer une tentative d’unité dans un monde forcément divisé, frontière presque invisible, tant le tableau final vous saisit d’emblée dans sa totalité.
Si les confins désignent l’extrême limite d’un monde, de quel monde s’agit-il ? Quel est son au-delà ? ou son en-deçà ? Impression d’assister à la naissance spontanée d’un poème ou d’un paysage, avec ses sillons creusés dans la matière, créant rythme et lumière. La gamme chromatique est restreinte : blanc, noir, contrastant, par leur franchise, avec les nuances infinies des gris, la douceur des bleus et des rose, et l’éclat des ocres, allant de l’or au brun. Monde primaire, mythologique, avec son ciel, sa terre, ses aubes et ses créatures qui se devinent peu à peu à mesure que le regard s’affine. Corps dansants, corps allongés, ou assis, selon l’univers où notre imagination nous entraîne, blancs ou noirs, corps présents, présents dans leur mouvement, mais surtout par leur lumière venue de l’intérieur.
LES « PEINTURES DES CONFINS », UNE ERRANCE.
Cette exposition et la précédente, « Quand passent les grues cendrées », ont une même origine, un vol de grues qui, en novembre sur une route de Puisaye, sous un parapluie pour deux, inspira à Nathalie ; dans l’instant, un haïku. Dans un autre temps, surgirent de nouveaux haïkus. L’ensemble compose le recueil « Tomber des nues ».
« Quand passent les grues cendrées » est née du premier haïku. Le vol passait comme un signe sans âge du grand rythme de la nature. La saison sombre était là, les oiseaux volaient vers la lumière du Sud.
La lecture de « Tomber de nues » a initié les peintures reproduites dans le recueil. Les haïkus faisaient écho aux cris des grues cendrées, cris troublants, poignants, comme s’ils mêlaient un appel à la vie et une angoisse de la mort.
A la différence de l’exposition précédente, ce qui est exposé ici ne compose pas une série. Les seize petites peintures du recueil ont été le prélude d’une errance, d’une dérive parmi des visions souvent fort étrangères. Il y a, des choses vues d’en haut entre les ailes des oiseaux, la rencontre de leur migration avec celle des hommes, des dieux qui dansent, venus d’un haïku, le souffle d’un bison, l’interrogation d’un ange devant l’origine du monde. Et des femmes : interrogatives sur une plage devant un ciel gris, en villégiature sous un volcan d’Italie, en duo dans l’ombre de la chair et dans la lumière, etc. Il n’y a pas d’ordre intelligible, mais sans doute des effets fugaces d’osmose, effets poétiques nés des correspondances de formes et de couleurs.
ORIENTATION DE LA MANIÈRE.
Les peintures de cette exposition participent d’une orientation générale de mon travail vers une peinture de la dualité de la vision, un premier abord tendant vers l’abstraction avant qu’émergent des aspects figuratifs. Béatrice Commengé a su évoquer de façon particulièrement sensible cette dualité de la rencontre avec les œuvres.
Le texte en annexe, « Une peinture des deux visions », situe cette orientation de la manière par rapport à ses principales références historiques.
TECHNIQUE
Supports : réalisés avec un matériau élaboré pour permettre une grande liberté de formes (plâtre et divers composants) (épaisseur : environ 3 millimètres).
Reliefs : plâtre ;
Medium : une tempéra (principalement à base d’œuf et de résine dammar).
ŒUVRES
QUATRE HAÏKUS DE, TOMBER DES NUES.
Le sanglot des grues
Crible à verse le toit de
Notre parapluie.
Les nuages dispersent
Le cri des grues
Au ciel
Mouillé
De leurs plumets.
Tu ouvres les yeux
Des dieux dansent sur les bords
Des tombeaux enfouis.
Fragments du royaume
De grande solitude
Torpilles éparses
Les mots gravent
L’épitaphe du présent.
Tomber des nues. Nathalie Georges-Lambrichs. Editions du Canoë. Paris, 2021.